Nous venons de vivre trois jours formidables à la Classe de Mer 2011 d’Arcachon avec Stephen Madigan, à réfléchir et à expérimenter comment lutter contre l’individualisme, les relations de pouvoir et le contexte social des problèmes.
Il nous a transportés encore un pas plus loin au-delà de ce que savions déjà des Pratiques Narratives en partageant avec nous sa pratique, ses idées nouvelles, ses expériences avec une grande simplicité et générosité.
Je vais garder et intégrer beaucoup d’idées et de concepts qui vont venir enrichir ma pratique.
Notamment son travail pour lutter contre l’individualisme : les clients parlent de façon individualiste et nous, il nous faut faire de l’anti-individualisme. Il nous faut explorer comment le problème fonctionne en relation à la culture de la personne et de son environnement. Les sélections que font les personnes des évènements dont elles tissent leurs histoires sont influencées par la culture. Plutôt que de situer le problème dans la personne, nous devons le voir côté relationnel : Qu’est-ce qu’on dit ? Qui a le droit légitime de le dire ? Avec quelle autorité ? Il convient de regarder les histoires dominantes comme étant produites et reproduites dans la communauté.
Je retiens son formidable travail autour des groupes de soutien de la personne. Il dit : « je veux rencontrer la communauté relationnelle de la personne. C’est souvent cette communauté qui garde la mémoire de la personne jusqu’à ce que elle la retrouve ».
Je retiens aussi son travail autour de l’anticipation de l’espoir : Qu’est-ce que l’on anticipe de devenir ? Qui préfèrerions-nous être ? Si vous n’aviez pas ce problème, qui aimeriez-vous devenir ? A quoi pourrait ressembler ce premier pas qui va vers cette histoire préférée ? Comment vous vous préparez à faire ce premier pas ? Qui pourrait vous aider à faire ce premier pas ?
Je retiens son travail autour de l’exploration de la perte. Une nouvelle manière de regarder les effets du problème. Pour pouvoir avoir cette relation avec le problème, il faut perdre quelque chose. Le problème n’y est pas arrivé tout seul : Qu’elle a été la plus grande perte pour toi ? Qu’est-ce qui vous manque dans ce que vous vivez actuellement ? Pourquoi ça vous manque ? Où pensez-vous que c’est parti ?
Stephen nous rappelle également que le problème a des pratiques. Donc, il faut explorer ces pratiques, les mises en actes du problème. Mais il nous rappelle que les capacités, les compétences ont aussi des pratiques. Mettre en actes les compétences : Qu’avez-vous fait pour résister à cela ? Quand la personne vient nous consulter c’est déjà une mise en acte de ses capacités.
Je retiens son travail autour de l’histoire alternative. Il dit : « J’écoute toujours l’histoire de façon à pouvoir entendre quelque chose qui ne colle pas avec l’histoire du problème. L’histoire secondaire émerge quand nous commençons à avoir des suspicions sur le problème ».
Un grand merci à la Fabrique Narrative d’avoir organisé cette belle rencontre.
Publié le : 10 septembre 2011 | | Partager/Mettre en favoris
En m’initiant à l’Arbre de vie à la Fabrique, j’ai tout de suite saisi l’intérêt d’un tel outil qui, pour moi, à deux fonctions essentielles : permettre d’étoffer au maximum l’histoire préférée de la personne et permettre également de mettre en lumière, au travers des racines notamment, les différents contextes qui pourraient avoir une influence dans sa vie.
En individuel ou en groupe, en entreprise ou dans différentes communautés, l’Arbre de vie peut être adapté et permettre aux personnes de parler de leur vie en utilisant ce qu’elles savent de leur connaissance sur les arbres, tout simplement qu’ils ont des racines, un tronc, des branches maîtresses, des branches, des bourgeons, des feuilles, des fleurs, de la sève, etc. On peut utiliser la métaphore de l’Arbre pour faire émerger compétences et ressources, pour faire des liens et donner du sens à son parcours. C’est un outil puissant pour recueillir des informations auprès des jeunes tout en les aidant à se projeter dans l’avenir. Pour terminer, je dirai qu’il permet de mieux connaître nos interlocuteurs et leur offre la possibilité de prendre de la distance nécessaire pour regarder leur  vie. En outre, c’est un outil très accessible, intuitif.
Etoffer l’histoire préférée de la personne
En fonction de ce qui peut amener une personne à venir nous voir, on utilisera l’Arbre de vie pour que cette personne trouve du sens à ses initiatives (les racines et le sol dans lequel elles plongent), pour honorer ses ressources (le tronc), explorer ses projets, les espoirs qu’elle nourrit pour sa vie (les branches), pour la sortir de son isolement en identifiant les personnes importantes et ressources autour d’elle (les feuilles). Pour la rendre consciente des évènements importants, des rencontres, des chances qu’elle a su saisir et qui ont influencé sa vie positivement (les fruits).
Mettre en lumière les différents contextes dans lesquels a  évolué ou évolue la personne
Pour moi, pour qui le contexte élargi n’est pas toujours évident à explorer, l’Arbre de vie a été très aidant. En effet, au niveau des racines, quand la personne est invitée à mettre des mots sur : « Quelle est ton histoire ? Qu’est-ce qui fait que tu es la personne que tu es aujourd’hui ? Qu’est ce qui t’a construit ? ».  Aux jeunes qui ont un peu de mal, je demande souvent : « Qu’est-ce qui fait que tu es le jeune homme de quinze ans que tu es aujourd’hui ? Qu’est-ce qui fait que tu es unique ? Qu’est-ce qui, dans ta vie, a fait le jeune homme que tu es ? »
A ces questions, de magnifiques éléments de contexte viennent éclairer l’histoire des personnes. Souvent, chaque racine est un contexte différent. Et, quand la personne me présente ses racines, c’est souvent un moment de prise de conscience de ce qui conditionne un peu sa vie.
En individuel
Aujourd’hui, j’utilise l’Arbre de vie avec quasiment chacun de mes clients. Souvent en début de mission, car il me permet de faire connaissance avec la personne qui est venue à moi. Ensuite, à chacune de nos séances, j’affiche son arbre. Et quand, lors de nos conversations, un nouvel élément émerge, c’est souvent une occasion d’étoffer son arbre. Rajouter une feuille, en enlever une. Rajouter une compétence ou autre chose. Faire du « re-membering » en s’adressant à une feuille.  On peut aussi décider d’écrire une lettre à une feuille. C’est une manière de reconnaître la contribution de la feuille dans la vie de la personne. Quand l’arbre est bien nourri, et souvent avant de clôturer une mission, je propose à mon client d’inviter un témoin extérieur pour « résonner » à son arbre. Il peut choisir une personne de son entourage ou s’il ne le souhaite pas, je peux aussi lui proposer une personne de mes relations. Pour les mineurs, je propose souvent de présenter leur arbre à un parent, l’ occasion de l’étoffer encore davantage et de renforcer les acquis.
En groupe – La forêt de vie
J’ai eu l’opportunité d’expérimenter l’Arbre de vie pour différentes communautés de personnes : des classes de jeunes en grande difficulté scolaire, des groupes de travailleurs sociaux (médiateurs éducatifs), des groupes d’étudiants coachs et des groupes de jeunes adultes sans qualification, en recherche d’emploi dans des missions locales.
Les objectifs selon les groupes peuvent être différents, mais en créant son Arbre de vie et en l’associant à ceux des autres pour former une « Forêt de vie », l’intention narrative reste sensiblement la même tout en s’élargissant : mieux se connaître, étoffer l’histoire préférée de la personne, du groupe,  la faire rayonner à un plus large niveau.
Dans le cas de la « Forêt de vie », je demande à chaque personne du groupe de réaliser d’abord son arbre de vie, seule, chacun travaillant ainsi au contact des autres, au même rythme, mais de son côté. Ensuite, nous affichons les arbres au mur et cela fait la Forêt de vie. J’avais apporté  mon propre arbre de vie que j’ai proposé de partager avec eux au moment d’assembler la Forêt de vie. Ils m’avaient fait le cadeau de partager leurs arbres avec moi, je leur faisais cadeau du mien. Celui qui le souhaite est invité à présenter son arbre aux autres. Les témoins peuvent résonner à l’arbre de la personne qui présente. Les participants peuvent mettre, à l’aide de post-it, des mots de soutien sur les arbres.
En groupe – la tempête de vie
L’étape après la Forêt de vie, quand le groupe est constitué de personnes en souffrance ou en grande difficulté voire précarité.
Je ne l’ai expérimenté qu’une seule fois avec une classe de jeunes de 16 à 18 ans. 20 jeunes qui se retrouvaient dans une « classe relais » pendant une année. Une étape pour eux qui avaient vécu un parcours personnel et scolaire très difficile et chaotique et qui, pour la plupart, étaient déscolarisés depuis de nombreuses années. L’objectif de l’action était de les préparer à intégrer le CAP de leur choix l’année suivante. Mais l’objectif premier était qu’ils gagnent en confiance en eux-mêmes et reprennent espoir dans l’avenir.
Je suis venue les voir une dizaine de fois. Pour les aider à tenir pendant cette année, nous avons beaucoup travaillé la solidarité entre eux. C’est dans ce cadre que l’Arbre de vie a été très utile, à la fois pour échanger sur leur vie, faire émerger toutes leurs ressources, et pour mutualiser tous les savoirs du groupes sur ce qui peut « nous aider à tenir le coup ».
Après la forêt de vie, le process consiste à proposer la « tempête de vie » en engageant une discussion sur les malheurs qui peuvent arriver aux forêts. « Que peut-il arriver de pire à une forêt quand il y a une tempête ? Quels effets cette tempête a-t-elle sur la forêt ? Comment la forêt fait-elle pour se défendre ? Comment font les animaux de la forêt pour se protéger de la tempête ? Qu’est-ce qui y a de commun entre ce qui peut arriver à un arbre et vous ? Quels effets la tempête a-t-elle sur vous ? La tempête est-elle de la faute des arbres ? Et vous, que faites-vous quand les tempêtes surviennent dans votre vie ? Comment les jeunes peuvent-ils répondre aux tempêtes qui sur viennent dans leur vie ? Comment pouvez-vous garder le lien avec les espoirs pendant la tempête ? Est-ce que les tempêtes sont toujours là dans vos vies ? Qu’est-ce que l’on fait une fois que la tempête est passée? »
L’intention, ici, est de recueillir le savoir collectif : « Si je parle, ça peut aider l’autre ». De mutualiser des expériences qui aident les personnes à se défendre. C’est également un moyen d’échanger des messages sur leur survie : cette histoire de forêt leur en fournit le prétexte. Avec la Tempête de vie, nous leur proposons un contexte qui favorise cette expression et sa mise en commun. A la fin, chaque jeune repart avec son arbre qui va l’accompagner et lui rappeler les fleurs sur son chemin.
Publié le : 9 avril 2011 | | Partager/Mettre en favoris
"Quand je suis arrivé dans cette section, ça ne m'a pas intéressé. J'ai pris goût à ce que je faisais et aujourd'hui, je suis le meilleur soudeur de la section" Moussa
Je viens d’accompagner une classe de seconde bac pro métallerie dans un lycée professionnel parisien. L’objectif : lutter contre l’absentéisme scolaire.
Certains jeunes se retrouvent en première année Bac Pro dans un lycée et une filière qu’ils n’ont absolument pas choisis. Souvent le résultat d’une scolarité chaotique. L’orientation subie aboutit la plupart du temps à une grande démotivation du jeune qui a pour effet le décrochage scolaire, l’absentéisme et parfois la délinquance.
L’Association « Réussir Moi Aussi » a mis en place et orchestré un programme pour accompagner ces jeunes de 16 à 18 ans dans leur première année Bac Pro au sein des lycées professionnels de Paris et de la région parisienne.
C’est dans ce cadre que j’ai été amenée à rencontrer les jeunes d’une section Métallerie. Nous nous sommes vus tous les vendredis matin pendant cinq mois. Les premières séances ont été un peu difficiles, car j’avais en face de moi des jeunes qui n’avaient pas choisi cette orientation. Pour la plupart, on les avait mis là où il restait de la place, et ils n’avaient pas envie d’être là . Ils ne se sentaient pas valorisés par le métier qu’on leur proposait. Ils s’appelaient eux-mêmes la « section poubelle ».Â
Les deux premières séances, je me souviens m’être sentie impuissante. Je n’arrivais pas à trouver comment les aider. Je les voyais tellement démotivés, n’y croyant plus. En fait, pour reprendre une expression narrative, je m’étais laissé « recruter par le problème ». Ils n’y croyaient plus et, du coup, je n’y croyais pas moi non plus ! En restant vigilante à ne plus me laisser envahir par cette histoire de désespoir ou de « non espoir », j’ai retrouvé de l’espoir et j’ai pu réintégrer ma position de personne ressource pour eux. Il leur fallait reprendre confiance en eux-mêmes, il fallait qu’ils redeviennent les acteurs et les auteurs de leur vie et de leurs projets. Nous avons commencé par faire un travail autour de leurs ressources. « Ok. Vous avez été piégé par le système. Mais comment vous faites pour résister à cette situation ? Qu’est-ce qui vous donne encore la force de vous lever le matin ? Sur quoi vous appuyez-vous pour avancer ? Qu’est-ce qui vous aide à tenir le coup ? Quelles sont vos ressources ? De qui tenez-vous ces ressources ? Qui autour de vous ne serait pas étonné que vous ayez ces ressources-là  ? ».Â
Nous avons aussi travaillé la solidarité entre eux, en mutualisant les ressources et les savoirs du groupe pour trouver des solutions aux obstacles qui pouvaient se présenter à eux. Alors que nous réfléchissions ensemble à « Qu’est-ce qui pourrait vous aider à tenir ensemble pendant cette année scolaire ? », ils ont émis le souhait de participer à un projet commun. Un projet qu’ils feraient avancer au fur et à mesure de nos séances. Et très vite ce projet a pris la forme d’un film.  Ce sont eux qui ont décidé de tout, de la forme, du contenu. Ce film a été un beau moyen de créer du lien et de les faire s’exprimer sur ce qui est important pour eux dans la vie. Un moyen d’avoir un projet en commun pendant toutes ces semaines qui les aide à s’accrocher et à retrouver de l’espoir en l’avenir. Un moyen aussi pour eux, qui jusqu’ici avaient subi leur scolarité, de se mettre dans la position de ceux qui savent ce qui est bien pour eux, afin de redevenir acteurs et auteurs de leur vie et de leurs projets.
Nous avons décidé ensemble, lors de notre dernière séance de coaching, de présenter le film aux professeurs, aux CPE, et proviseur. Un moyen de faire rayonner plus largement ce qui est important pour eux afin, de renforcer cette nouvelle histoire que nous avions écrite ensemble. La projection a eu lieu le 15 mars dernier dans l’amphi du lycée. Elle a duré quinze minutes et ensuite nous avons fait résonner le public invité. Nous avons eu de magnifiques réactions des professeurs et des CPE présents : « J’ai été très touchée de découvrir une autre face de vous», « Je suis touché de les entendre s’exprimer aussi bien d’eux-mêmes, de leur vie, de leurs projets. Je suis fier d’eux », « Je suis très impressionné. Je suis prof de terminale, je ne les ai pas encore, mais cela me donne envie de les connaître, je serais heureux de les avoir dans ma classe ». « De les entendre sur le coaching, cela me donne des idées et me fait réfléchir sur nos méthodes pédagogiques et de ce que l’on pourrait faire pour motiver nos élèves… « J’ai été frappé par la profondeur de ce qu’ils ont dit et de leur maturité », « Ils ont l’air bien ensemble, soudés », « Ce film m’a permis de mieux vous connaître, de découvrir autre chose de vous », « je ne suis pas surpris car je connais bien ces élèves », je suis touché de les entendre parler comme ça »….
Les jeunes ont également réagi aux commentaires des invités. Ils les ont remerciés et se sont exprimés sur ce que ça leur faisait d’entendre cela sur eux, sur ce que cela disait d’eux et de ce qui est important pour eux et sur  l’espoir que ça leur donnait pour l’avenir.  J’ai envie de terminer sur le dernier témoignage, celui de Moussa, un des jeunes acteurs du film : « Je vous remercie. Je ne savais pas que vous pensiez cela de nous. On va s’accrocher comme ça jusqu’en terminale ».
Dina Scherrer
Publié le : 21 mars 2011 | | Partager/Mettre en favoris
Jeanne est une jolie et brillante jeune fille de dix-huit ans, qui après avoir décroché son Bac S est aujourd’hui en prépa Kiné, une orientation qu’elle a choisie et qui lui tient particulièrement à cÅ“ur.
Tout irait parfaitement bien si Jeanne n’était pas obligée de lutter contre ce qu’elle a appelé « Crise d’angoisse » et qu’elle décrit comme un sentiment de panique qui l’envahit à des moments bien précis.
« Crise d’angoisse » est arrivée dans la vie de Jeanne il y a un peu plus de trois ans, quand elle était en 3ème. Elle a été particulièrement présente en 1ère S,  ce qui a rendu son année difficile, a fait chuter ses notes et failli la faire redoubler. Depuis « Crise d’angoisse » est surtout présente au moment de prendre la parole en cours, même si parfois elle tente de faire une apparition quand Jeanne est avec certains amis, ce qui lui donne l’impression d’être un peu plus réservée que les autres.
Au moment où Jeanne décide de venir me voir, « Crise d’angoisse »Â semble occuper pas mal de place dans sa vie, surtout en cours quand Jeanne doit prendre la parole devant ses camarades et ses professeurs. Alors, Jeanne ne dort pas la nuit quand elle sait qu’elle va prendre la parole le lendemain. Le jour où elle doit prendre la parole, elle est terriblement angoissée en attendant qu’on l’interroge, et du coup n’est plus très attentive à ce qui se passe en cours. Au moment où elle doit parler, elle a la voix qui tremble et elle perd ses moyens, et après avoir parlé elle ressent la honte de ne pas avoir pu mieux maîtriser la situation.
L’objectif de Jeanne en venant me voir est très clair : se débarrasser de « Crise d’angoisse » qui l’empêche de vivre et de profiter pleinement de ses études. Elle craint aussi de devoir passer toute sa vie avec elle et qu’elle prenne de plus en plus de place dans son existence.
Ce qui me fascine chez Jeanne c’est la précision avec laquelle elle me raconte tous les effets de « Crise d’angoisse » dans sa vie et l’expertise qu’elle a sur son histoire de problème et ses effets.  Nous avons avancé en enquêtant sur les intentions de « Crise d’angoisse » pour la vie de Jeanne. Les avantages, les inconvénients que cela a sur sa vie. Sur tout ce que Jeanne avait déjà  tenté pour éloigner « Crise d’angoisse » de sa vie.Â
Cela a permis à Jeanne de s’apercevoir qu’elle a toujours été active face à ce qui lui arrivait. « Crise d’angoisse » par exemple n’a pas empêché Jeanne d’avoir une bonne note à son oral de Français au Bac, ne l’a pas empêchée non plus de faire du théâtre pendant des années et d’en retirer beaucoup de plaisir et aussi de terminer ce premier trimestre de Prépa avec une bonne évaluation. Et, surtout, cela lui a permis de comprendre que, derrière sa difficulté de prendre la parole devant ses camarades, il y avait son souci de ne pas trop en faire pour rester au même niveau que ses camarades, car, ce qui est important pour Jeanne, c’est d’être attentive aux autres.
 Aujourd’hui « Crise d’angoisse » a perdu de son intensité dans la vie de Jeanne. Lors d’une de nos dernières séances, j’ai proposé à Jeanne d’écrire une lettre de licenciement à « Crise d’angoisse ». Elle a tout de suite accepté. Quand elle m’a lu sa lettre j’ai été très émue, car, en acceptant d’écrire à « Crise d’angoisse », elle acceptait l’idée qu’elle, Jeanne, n’était pas le problème. Jeanne m’a autorisée à publier sa lettre pour que cela aide peut être d’autres jeunes qui connaîtraient la même situation qu’elle.
« Peu chère Crise d’angoisse,
Cela fait maintenant un peu plus de 3 ans que nous nous côtoyons et je t’écris cette lettre pour te demander de me laisser continuer ma route sans toi.
Même si cela a été difficile à avouer, j’ai bien pris conscience que tu n’étais pas là pour rien et que tu me protégeais et me permettais de ne pas penser à des choses plus inquiétantes que toi.
Te côtoyer m’a donc apporté quelques avantages mais cela me semble si peu à côté de ce que tu m’as fait endurer : le renfermement sur moi-même, la perte de confiance en moi, les heures de sommeil perdues à t’appréhender, l’énergie dépensée à essayer de te contrôler lorsque tu m’envahissais malgré moi et ce sentiment de honte que je m’imposais après t’avoir laisser me paralyser devant les autres alors que finalement c’est toi qui devrait avoir honte de m’imposer cela.
Il serait mieux pour moi que tu partes pour que je puisse m’épanouir et profiter de mes études que j’ai la chance d’avoir pu choisir, pour que je puisse enfin prendre la parole librement en cours sans que cela me demande un effort surhumain, sans croire que j’en suis incapable et sans avoir l’impression que la pire des choses va m’arriver.
Merci d’accepter ma décision, c’est sans verser une larme que je te dis adieu.
Jeanne »
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Publié le : 19 décembre 2010 | | Partager/Mettre en favoris
Le tunnel Publié le : 11 décembre 2010
J’ai toujours été mal à l’aise lorsque je dois traverser un espace fermé et obscur. Quand j’étais enfant, nous avions un couloir long et sombre où j’ai ressenti de grandes frayeurs. En voiture, il m’est arrivé de faire un détour de plusieurs kilomètres plutôt que de traverser un long tunnel comme celui de La Défense. La semaine dernière, à la suite d’importantes chutes de neige dans la région parisienne, j’ai passé onze heures dans ma voiture pour faire vingt-cinq kilomètres. Onze heures, dont quatre sans bouger. Dans un tunnel. Je pourrais donc vous faire le récit d’une épreuve horrible. Car, en plus, j’ai eu tout le temps de le voir venir, le tunnel ! Pendant des heures, j’ai vu son entrée se rapprocher inexorablement, sans avoir la possibilité de me défiler, emprisonnée par les voitures qui entouraient la mienne de toute part, devant, derrière, sur les côtés. Et, une fois dans sa bouche sombre, la circulation s’est immobilisée. Quatre heures avant de ressortir. De quoi savourer l’angoisse jusqu’à la panique.
Mais ce n’est pas cette histoire-là que je vais vous raconter. Dans la même situation, quelques années plus tôt, cela aurait été terrible, et j’ai bien senti « l’angoisse du couloir » qui tentait de s’emparer à  nouveau de moi, de me « recruter ». Alors, je me suis rapidement mise en « mode survie ». J’ai commencé par repérer les ouvertures possibles pour échapper à cette situation. J’ai localisé les issues de secours. J’ai évoqué l’éventualité de laisser la voiture sur place et de partir à pied. J’ai établi, grâce à mon téléphone portable, un lien avec l’extérieur en appelant tous ceux qu’il m’est possible d’appeler à minuit sans qu’ils me raccrochent au nez… Autrement dit, j’ai fait foisonner des histoires alternatives à celle de la peur du tunnel. Et je me dis maintenant que ce tunnel est une formidable image pour parler d’une histoire dominante qui nous enferme. Créer des histoires alternatives, c’est percer des issues de secours dans le tunnel.Â
Du coup, j’ai pu vivre et je peux vous raconter une autre version de cette traversée du tunnel. Ce que je garde de cette expérience et qui m’a beaucoup touchée, c’est la formidable solidarité qui s’est mise en place pendant cette épreuve. Dès qu’une voiture patinait ou s’enlisait, plusieurs personnes se mobilisaient pour l’aider. Ceux qui avaient de la nourriture ou de l’eau partageaient avec les autres. Des routiers ont pris en charge une mère et ses enfants en panne d’essence. Des groupes de femmes se relayaient pour cacher celles qui avaient une envie pressante à satisfaire. Des journaux et des magazines circulaient de voiture en voiture. Les gens sortaient de leur véhicule et se parlaient, se remontaient le moral spontanément. Les regards qui s’échangeaient parlaient de compassion et de soutien. Le tout en pleine nuit, sous la neige, par -2° de température, sur une autoroute totalement paralysée. Ce qui était parti pour être un cauchemar s’est transformé en aventure humaine.
Les jeunes, les moins jeunes, les familles, les routiers, des personnes qui ne se seraient certainement jamais rencontrées par ailleurs se retrouvaient sur la même route plongées dans la même histoire.
Quant à moi, comme l’angoisse tentait à nouveau de m’envahir, une jeune femme d’une vingtaine d’année est venue taper à ma vitre. Elle m’a dit qu’elle était paniquée, qu’elle avait du mal a respirer. Elle ne le savait pas, mais c’était un peu l’état contre lequel je luttais moi-même. Je l’ai rassurée comme j’ai pu, en partageant avec elle les idées que j’avais élaboré pour aller mieux. Elle ne saura certainement jamais le bien qu’elle m’a fait en venant me parler de son malaise. Car, en la rassurant, je me suis rassurée moi-même.Â
N’est-ce pas finalement ce que nous faisons tous les jours en coaching : aider une personne qui sans le savoir nous aide aussi…Â
Dina Scherrer
Publié le : 11 décembre 2010 | | Partager/Mettre en favoris