Vers une pédagogie émotionnelle… par Cédric Serres Publié le : 14 juin 2013
Cédric Serres est instituteur dans l’Hérault, il est membre du groupe départemental de l’Hérault (ICEM 34). Il m’a invité à participer au dernier colloque des pratiques collaboratives de l’ICEM 34 en mars dernier. Ce qu’il arrive à mettre en place au sein de sa classe redonne espoir dans l’enseignement et surtout fait en sorte que le jeune se réapproprie l’école comme un lieu de partage, d’échange. Il n’y a pas que le maître qui sait, lui aussi peut apporter sa contribution. C’est juste formidable.
Ci-dessous le témoignage de Cédric sur son expérience au quotidien dans sa classe, notamment l’expression qui permet aux émotions de trouver leur place dans une classe bienveillante :
Lundi, Conseil de classe, 11h du matin :
Président du conseil : “ Le conseil est ouvert, qu’est ce que vous aimez le plus dans la classe ?”
Un tour de table où chaque élève, s’il le souhaite peut prendre la parole pour dire ce qu’il aime le plus : l’anglais, les mathématiques, PIDAPI, le quoi de neuf, les ventilateurs, la classe mobile, la sortie, le futsal, le maitre, moi etc.
Vendredi soir, bilan de la semaine, 16h35 :
Président du jour : “C’est l’heure du baromètre des émotions de la semaine. Qui a ressenti de la peur? de la honte ? du dégoût ? de la colère ? de la tristesse ? de l’amour ? de la joie ?”Chaque élève qui le souhaite lève la main pour se signaler pour chaque émotion. On remarque tout de suite que nous ressentons tous ou presque, toute la palette des émotions dans la classe tout au long de la semaine.
Président du jour : “Qui veut parler pour l’amour ?” Myriam : “J’ai ressenti de l’amour quand on a travaillé la danse dans la salle APEX pendant la récré avec les copines, parce qu’on était toutes ensemble.”Ainsi la classe est-elle rythmée par l’expression de l’amour. Mais au-delà de ces moments formels, institués dans la classe et d’autres encore tout au long de la journée, l’amour est présent dans la classe par la posture que je choisis d’adopter. Fort de ma conviction que tout le monde est éducable, j’accueille chaque élève dans son originalité et sa singularité. Unseul guide, l’amour inconditionnel.
Définitions :
L’amour inconditionnel : Partage d’un sentiment d’affection sans condition et en toutes circonstances.
Mises en œuvres dans la classe:
Attitudes du maitre :
Je bannis tout jugement. C’est d’ailleurs une règle de vie incontournable de notre classe : “je ne me moque pas, je suis bienveillant”. C’est un postulat qui m’incite à toujours faire confiance à l’enfant, à toujours lui permettre de s’exprimer et finalement à lui laisser le droit à l’erreur. Même le maitre a droit à l’erreur. Et je ne la maquille pas avec des expressions du style : “c’était pour voir si vous suiviez.” Au contraire, montrer que je suis faillible incite les enfants à utiliser leurs outils plutôt que le maitre comme support. L’écoute des émotions. Les émotions sont au cœur de notre classe, comme elles sont au cœur de notre être. Pour vivre l’instant présent la seule possibilité est d’être pleinement dans la conscience de soi et donc dans la découverte de soi, l’apprentissage. Ce sont nos émotions qui nous permettent cette prise de conscience : qu’est ce que je ressens face à ce qui m’arrive ? Qui je suis ? Ainsi, les enfants travaillent pour eux-mêmes (motivation intrinsèque). Ils ne sont pas dans la projection du cadeau qu’ils auront s’ils ont une bonne note, ou encore de la baffe qu’ils recevront s’ils en ont une mauvaise. Bienentendu, cette recherche de motivation intrinsèque est un chemin, elle ne se décrète pas. Des outils de motivations extrinsèques doivent être mis enplace pour progresser sur ce chemin.
Des outils : (je n’en ferai qu’un bref aperçu sans être exhaustif)
Le quoi de neuf :
Un outil essentiel pour prendre sa place dans la classe. La consigne que je donne en début d’année est : “qu’est ce que j’ai vécu hier ou ce WE, et qu’est ce que j’ai ressenti ?” Ainsi les enfants commencent-ils par décrire une situation, qu’ils ferment en indiquant “et j’ai ressenti de la peur de voir la dame Blanche sortir de
l’ordinateur”. C’est aussi un outil d’analyse pour moi. Qui prend la parole ? Qui ne la prend pas ? Force de la voix, comportement dans l’expression orale (mimique, bégaiement, mouvement …) des indications qui me permettent inconsciemment au départ puis de plus en plus consciemment de mieux connaître mes élèves.
Les temps de critiques :
Après de nombreuses présentations faites par des élèves, par exemples les lectures offertes ou encore les exposés voire même les textes libres, il y a toujours un temps plus ou moins long (on interroge plus ou moins de personnes, environ 4 ou 5) de retours du groupe. Ici il est impératif de commencer par une remarque positive. Et le “je trouve que tu as bien lu” n’est pas suffisant. J’entraine régulièrement les enfants à définir ce qu’ils trouvent bien : le ton, le rythme, les mots difficiles, le choix du thème.
Ensuite viennent les critiques constructives sous forme de message je : “j’aurais aimé qu’il y ait plus d’images, j’aurais aimé que tu prépares plus ta lecture…” Certains enfants, ou à la demande du président de séance, font même une demande : “ et ma demande c’est que tu choisisses des images et que tu les imprimes pour les rajouter sur ton exposé.”
La phrase du jour :
Chaque jour, il y a un rituel phrase du jour. Cette année j’ai choisi de laisser l’écriture libre de la phrase du jour le mardi, le lundi c’est une dictée du jour, le jeudi et le vendredi c’est une écriture sous contrainte (écrire une phrase avec “mais”, écrire une phrase avec un CCL…). Néanmoins, lorsque l’enfant écrit sa phrase du jour au tableau, les autres élèves doivent rechercher en priorité tout ce qui est bien dans sa phrase. Je remarque que l’enfant qui est au tableau se redresse au fur à mesure
des remarques. Quand vient l’heure de corriger certaines erreurs, il est tellement regonflé qu’il en est encore plus attentif.
Le baromètre des émotions :
C’est un simple affichage, un moment de classe qui clôt notre semaine. Toutes les émotions sont évidemment vécues, mais ici on reparle d’un moment qui a été fort pour nous. Nous n’avons pas tous été marqués par les mêmes évènements, le partager aux autres nous ouvre les portes de l’empathie, cela resserre encore les liens du groupe.
Le tour d’aide :
C’est un moment de vie qui clôt notre journée. Tous les soirs nous faisons un bilan de la journée après avoir rangé la classe. C’est le moment de donner une “aide” à un camarade. C’est un peu comme une félicitation, avec en plus le fait que ça contrebalance une gêne de la journée. La règle étant de ne donner qu’à une seule personne, il faut choisir. C’est le choix qui provoque ici la connaissance de soi. Il est aussi demandé que l’aide soit justifiée : “Je donne une aide à Fatima parce qu’elle m’a aidée sur la ceinture d’orthographe.”
L’écoute :
Quand je me rends compte qu’un enfant n’est pas bien, je l’écoute. Je prends le temps pour lui. Comme souvent il ne se livre pas, je vais à la pêche aux informations, en lui parlant de mon ressenti. Un enfant se bat dans la classe, son visage est fermé, il est plein de colère et surtout de violence. Je n’ai que l’écoute pour l’aider. Ce qui importe, c’est qu’il se sente compris, important, autorisé, tout en évitant un passage à l’acte, c’est ce que j’appelle la sécurité affective. Il n’est pas question de réprimer ses émotions. En revanche, il est utile de vérifier que l’enfant ne s’enferme pas dans un sentiment.L’émotion ne dure que quelques minutes. Il arrive qu’un enfant pleure
dans la classe : «Je suis triste parce que mon papa part au Maroc et je ne vais pas le voir pendant 15 jours.» Et voilà le grand gaillard qui s’effondre en larmes, il est 9h30. Pour couper court aux «il pleure» des autres élèves (même empathique), je l’invite, je le rassure: «tu as le droit de pleurer, c’est normal dans cette situation». L’émotion est vite passée. Le sentiment est beaucoup plus long dans le temps, il s’installe et parfois l’on caractérise la personne par ce qu’elle vit. «Elle est toujours fatiguée»,
«je me sens déprimée». Lui coller une étiquette renforce alorsson sentiment, et l’enfonce encore plus.
Nous avons eu la chance de rencontrer Dina Scherrer lors de notre deuxième colloque des pratiques coopératives de l’ICEM34. Son approche des élèves avec ses conversations externalisantes est un véritable outil pour démonter les catégorisations.
La condition pour être, c’est d’écouter qui je suis. D’accepter mes imperfections et mes lacunes, mais aussi mes qualités et mes connaissances. Un mélange complexe de confiance en soi et de connaissance de soi. De l’humilité et de l’orgueil. Et si c’était ça, l’amour ?
Et en même temps, on voit bien que dans la classe il y a une dimension supplémentaire : les autres. C’est ce que Thich Nhat Hanh caractérise par «l’inter-être». Je ne suis pas Bouddhiste, cependant c’est la plus belle fleur que j’ai trouvée poussant sur le terreau de l’amour : Vous ne pouvez pas « être » simplement par vous- même.
Vous devez forcément inter-être avec toutes les autres choses.
Et pour conclure voici le mot d’Eliane, une amie institutrice à la retraite quia découvert la pédagogie coopérative via l’OCCE de son département. Je lui ai parlé de ce thème pour le nouvel éducateur car elle a écrit un livre qui parle exactement de cela.
« Pour moi, c’est, avant tout, un ressenti envers les futures générations. Aimer, c’est voir très loin, c’est avoir envie de développer l’humanité de l’Homme, pour qu’il soit plus heureux dans ses rapports avec les autres avec lui-même. Je crois, fermement, qu’il construira, dans l’avenir lointain,un monde meilleur. Aimer, c’est regarder les enfants dans toutes leurs dimensions, sans discrimination. C’est aider au lieu de juger, c’est accepter au lieu de condamner. C’est regarder chacun avec un œil neuf, l’œil de l’Amour universel, en essayant de développer ses potentiels, de faire en sorte qu’il puisse exploiter ses propres richesses. Pour cela, il est indispensable de luidonner un minimum de liberté de s’exprimer, de travailler à son rythme. Aimer, c’est semer des graines pleines de soleil dans le cœur des enfants.Les pensées sont des forces qui se propagent à la vitesse de la lumière. Nous sommes, nous, enseignants, des porteurs de cette lumière qui se diffuse dans le cœur de nos élèves. Ces petites gouttes feront un grand océan dans quelques centaines ou milliers d’années !!Aimer, ce n’est pas seulement des MOTS que l’on dit. C’est vivre chaque jour dans cette harmonie, c’est faire vivre nos élèves à travers des ACTES d’amour.
Aimer c’est partager, les joies, les peines. C’est encourager, toujours et toujours. C’est être là, disponible.
Amicalement »
Eliane
« L’École, Ma Passion, Ma Mission »
http://www.eliane-scordo.fr/
Publié le : 14 juin 2013 | 1 Commentaire | Partager/Mettre en favoris
bonjour,
En lisant cela, je me rends du chemin qu’il me reste à faire…
merci