La lettre de Jeanne Publié le : 19 décembre 2010
Jeanne est une jolie et brillante jeune fille de dix-huit ans, qui après avoir décroché son Bac S est aujourd’hui en prépa Kiné, une orientation qu’elle a choisie et qui lui tient particulièrement à cÅ“ur.
Tout irait parfaitement bien si Jeanne n’était pas obligée de lutter contre ce qu’elle a appelé « Crise d’angoisse » et qu’elle décrit comme un sentiment de panique qui l’envahit à des moments bien précis.
« Crise d’angoisse » est arrivée dans la vie de Jeanne il y a un peu plus de trois ans, quand elle était en 3ème. Elle a été particulièrement présente en 1ère S,  ce qui a rendu son année difficile, a fait chuter ses notes et failli la faire redoubler. Depuis « Crise d’angoisse » est surtout présente au moment de prendre la parole en cours, même si parfois elle tente de faire une apparition quand Jeanne est avec certains amis, ce qui lui donne l’impression d’être un peu plus réservée que les autres.
Au moment où Jeanne décide de venir me voir, « Crise d’angoisse »Â semble occuper pas mal de place dans sa vie, surtout en cours quand Jeanne doit prendre la parole devant ses camarades et ses professeurs. Alors, Jeanne ne dort pas la nuit quand elle sait qu’elle va prendre la parole le lendemain. Le jour où elle doit prendre la parole, elle est terriblement angoissée en attendant qu’on l’interroge, et du coup n’est plus très attentive à ce qui se passe en cours. Au moment où elle doit parler, elle a la voix qui tremble et elle perd ses moyens, et après avoir parlé elle ressent la honte de ne pas avoir pu mieux maîtriser la situation.
L’objectif de Jeanne en venant me voir est très clair : se débarrasser de « Crise d’angoisse » qui l’empêche de vivre et de profiter pleinement de ses études. Elle craint aussi de devoir passer toute sa vie avec elle et qu’elle prenne de plus en plus de place dans son existence.
Ce qui me fascine chez Jeanne c’est la précision avec laquelle elle me raconte tous les effets de « Crise d’angoisse » dans sa vie et l’expertise qu’elle a sur son histoire de problème et ses effets.  Nous avons avancé en enquêtant sur les intentions de « Crise d’angoisse » pour la vie de Jeanne. Les avantages, les inconvénients que cela a sur sa vie. Sur tout ce que Jeanne avait déjà  tenté pour éloigner « Crise d’angoisse » de sa vie.Â
Cela a permis à Jeanne de s’apercevoir qu’elle a toujours été active face à ce qui lui arrivait. « Crise d’angoisse » par exemple n’a pas empêché Jeanne d’avoir une bonne note à son oral de Français au Bac, ne l’a pas empêchée non plus de faire du théâtre pendant des années et d’en retirer beaucoup de plaisir et aussi de terminer ce premier trimestre de Prépa avec une bonne évaluation. Et, surtout, cela lui a permis de comprendre que, derrière sa difficulté de prendre la parole devant ses camarades, il y avait son souci de ne pas trop en faire pour rester au même niveau que ses camarades, car, ce qui est important pour Jeanne, c’est d’être attentive aux autres.
 Aujourd’hui « Crise d’angoisse » a perdu de son intensité dans la vie de Jeanne. Lors d’une de nos dernières séances, j’ai proposé à Jeanne d’écrire une lettre de licenciement à « Crise d’angoisse ». Elle a tout de suite accepté. Quand elle m’a lu sa lettre j’ai été très émue, car, en acceptant d’écrire à « Crise d’angoisse », elle acceptait l’idée qu’elle, Jeanne, n’était pas le problème. Jeanne m’a autorisée à publier sa lettre pour que cela aide peut être d’autres jeunes qui connaîtraient la même situation qu’elle.
« Peu chère Crise d’angoisse,
Cela fait maintenant un peu plus de 3 ans que nous nous côtoyons et je t’écris cette lettre pour te demander de me laisser continuer ma route sans toi.
Même si cela a été difficile à avouer, j’ai bien pris conscience que tu n’étais pas là pour rien et que tu me protégeais et me permettais de ne pas penser à des choses plus inquiétantes que toi.
Te côtoyer m’a donc apporté quelques avantages mais cela me semble si peu à côté de ce que tu m’as fait endurer : le renfermement sur moi-même, la perte de confiance en moi, les heures de sommeil perdues à t’appréhender, l’énergie dépensée à essayer de te contrôler lorsque tu m’envahissais malgré moi et ce sentiment de honte que je m’imposais après t’avoir laisser me paralyser devant les autres alors que finalement c’est toi qui devrait avoir honte de m’imposer cela.
Il serait mieux pour moi que tu partes pour que je puisse m’épanouir et profiter de mes études que j’ai la chance d’avoir pu choisir, pour que je puisse enfin prendre la parole librement en cours sans que cela me demande un effort surhumain, sans croire que j’en suis incapable et sans avoir l’impression que la pire des choses va m’arriver.
Merci d’accepter ma décision, c’est sans verser une larme que je te dis adieu.
Jeanne »
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Publié le : 19 décembre 2010 | 2 commentaires | Partager/Mettre en favoris
Belle histoire de courage, très émouvante. Cela semble magique. Et cela l’était ?
Quelle leçon de lucidité, de courage et d’espoir pour tous ceux, trop nombreux, que persécute « Crise d’angoisse »! Sous la plume d’une si jeune femme, quelle extraordinaire compréhension d’un phénomène complexe! Comprendre le bénéfice sournois derrière la souffrance, prendre le risque de regarder sa vie nettoyée de cet élément qui, même inconfortable, est familier… Oui, comme l’écrit Thierry, cela semble magique. Si l’on pouvait congédier ainsi nos peurs, en leur écrivant, ce serait fabuleux. Mais je suppose que cette lettre a été précédée d’un travail patient et approfondi qui est venu prolonger une grande lucidité, une introspection sans complaisance…