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Dire « bonjour à nouveau » Une nouvelle approche du deuil Publié le : 8 novembre 2014

Michael White

Et si, plutôt que de chercher à oublier nos disparus, nous leur disions « bonjour à nouveau » ? C’est l’invitation de Michael White, convoquant le souvenir.

Ci-dessous un très bel article publié dans le magazine La Vie du 23 octobre qui s’intéresse et rend hommage au travail entre autre de Michael White sur le concept de « Dire bonjour à nouveau ». Merci à Etienne Séguier, Journaliste à la Vie de m’avoir autorisée à publier son article.

Oublier et tourner la page plutôt que de ressasser des souvenirs … le travail de deuil prend du temps. Parfois même, certains n’arrivent pas à aller de l’avant, tourner la page. Et si plutôt que de chercher à ne plus penser à eux nous essayions de leur « dire bonjour à nouveau » ? C’est l’étonnante proposition formulée par le thérapeute australien Michael White qui utilise le souvenir comme outil thérapeutique.

Mary avait 43 ans lorsqu’elle a consulté Michael White, un thérapeute australien pour la première fois. Six ans auparavant, elle avait perdu son mari décédé d’une crise cardiaque. Jusqu’alors, ils avaient entretenu une belle complicité aimante. Après ce drame, elle avait sollicité des psychologues pour l’aider à accepter cette mort, mais sans y parvenir. Au cours de l’entretien, elle a expliqué qu’elle pensait être incapable de « dire au revoir » à son mari. Michael White l’a alors surprise avec cette hypothèse surprenante : n’aurait-elle pas au contraire trop bien exprimé un « au revoir ». Après un moment de silence, Mary s’est dite intéressée par cette approche. Michael White lui a alors proposé de faire l’expérience de « dire bonjour à nouveau » à son conjoint disparu, en renouant avec leurs souvenirs communs.
C’est à cette occasion que cette démarche a été expérimentée pour la première fois par le thérapeute. Mary a commencé à sangloter doucement. Puis elle a répondu qu’il était « enterré trop profond » dans sa mémoire mais que cela pourrait l’aider de le « déterrer un peu ». Michael White lui a posé plusieurs questions pour « redire bonjour » à son mari et se relier aux regards positifs qu’il nourrissait à son égard. (voir question plus bas). Selon cette approche, il ne s’agit pas de se remémorer les qualités du défunts, mais de percevoir comment ce qui dans notre relation avec lui nous a construit. Durant les deux entretiens suivants, Mary a partagé des redécouvertes qu’elle faisait sur elle-même et sur la vie. Lors du suivi, douze mois plus tard, Mary a confié : « C’est étrange, mais quand j’ai découvert que je n’étais pas obligée de me séparer de mon mari, il a moins envahi mes pensées, et ma vie est devenue plus riche ».

Présenté en 1988 en Australie, cette façon d’accompagner les personnes en deuil est désormais pratiquée aux États-Unis, et plus récemment en Europe, par les psychologues et les coachs, formés à ce que l’on appelle « la pratique narrative ». Cette technique identifie les histoires de notre vie en distinguant celles qui pèsent sur nous et celles qui nous dynamisent. « Se dire bonjour » à nouveau s’adresse en priorité à des patients diagnostiqués comme souffrant d’un « deuil pathologique ». Toute leur existence est organisée autour du proche disparu. Souvent, ces personnes cherchent réellement à effectuer le travail de deuil. « Mais du coup, elles appuient là où cela fait mal, ce manque de la présence physique des personnes, explique Dina Scherrer, coach et formatrice en pratique narrative. À l’inverse, en disant « bonjour à nouveau » à une personne disparue, le proche vivant se donne la permission de commencer une autre forme de relation avec le défunt. » Curieusement, cette démarche permet à l’être décédé de ne plus occuper toute la place, sans pour autant disparaître de l’existence de la personne encore vivante. « Se regarder par les yeux de celui qui est parti permet de reconstruire une identité blessée par le décès. Notre identité se tisse à travers la relation aux autres, précise Dina Scherrer. Lorsqu’on perd un proche, c’est comme si une partie de notre identité partait avec lui. La mort fige cette histoire et elle ne peut continuer à évoluer que si l’on conserve une forme de relation avec la personne qui est partie. »

Béatrice Cameron, psychologue et coach s’est formée à la pratique narrative. C’est elle qui a traduit en français l’article dans laquelle Michael White présente cette façon de « dire bonjour à nouveau » (disponible sur le site : http://www.croisements-narratifs.fr/). « En cas de deuil, nous vivons deux types de perte, explique-t-elle. La première, irréversible, est celle de l’être physique. Mon parent, mon conjoint n’est plus là et je ne pourrais plus goûter à sa présence. La seconde, symbolique, désigne tout ce qui a été partagé avec cette personne. Le travail de deuil classique préconise de « tourner la page » en vivant non seulement la perte physique, mais aussi symbolique, en cherchant à ne plus penser à la personne. » L’approche de Michael White invite au contraire à traiter comme un héritage de plus les éléments heureux vécus ensemble en les réintégrant à notre existence. En anglais, se « dire bonjour à nouveau », s’exprime par le terme « remembering » avec le double sens de « se souvenir » mais aussi « refaire membre » (se réapproprier).

Alors oublier ou se souvenir, quelle solution privilégier ? Les praticiens de cette approche sont d’accord pour ne pas l’opposer avec le « travail de deuil » classique. Ce travail se décompose en cinq étapes qui ne sont pas forcément linéaire, ni systématique : le déni de la mort, la colère, le marchandage en faisant comme si la personne pouvait revivre, la dépression et enfin l’acceptation de la disparition. « Se dire bonjour à nouveau » ne prétend pas se substituer à ces réactions bien humaines. Il propose plutôt un accompagnement lorsque les vivants demeurent pris par la dépression, sans que l’acceptation arrive. « C’est comme si la personne était partie avec une valise, emportant la manière qu’elle avait de nous regarder au moment où cela allait bien. Et avec elle les compétences qu’elles nous reconnaissaient. Comme si nos qualités avaient disparu avec la personne », conclut Dina Scherer. Nous pouvons rouvrir de temps en temps la valise pour ré-endosser ces compétences et continuer d’avancer avec elle.

Comment Bernard a renoué avec sa mère
Bernard avait trente cinq ans quand il a consulté un coach pour des problèmes de confiance en soi. Il avait eu une enfance heureuse jusqu’à la mort de sa mère, à l’âge de onze ans. Après avoir travaillé à muscler l’estime de soi, sans évolution notable, son accompagnateur lui a demandé un jour ce qui aurait changé dans sa façon de se voir lui-même si sa mère n’était pas morte. Après un long silence, les larmes sont montées, mais il a tout de même voulu poursuivre l’entretien. Le coach lui a alors proposé de travailler autour de la question suivante : « sa mère disparue ne lui manquerait-elle pas depuis trop longtemps ? » Il parut à la fois surpris et intéressé. « Qu’est ce que votre mère voyait en vous quand elle vous regardait à travers son regard aimant ? » « Comment est-ce qu’elle savait ces choses-là à votre sujet ? Qu’est ce que vous pouvez voir maintenant en vous qui a été perdu pour vous pendant de nombreuses années ? ». Petit à petit, Bernard se remémora des bons souvenirs, retrouvant des regards et des propos bienveillants tenus par sa mère. Cette façon qu’elle avait d’apprécier son air malicieux, son inventivité pour résoudre des problèmes du quotidien, sa capacité à courir vite. Il a osé partager sur ces découvertes avec son épouse et un de ses collègues. Il a moins cherché l’approbation de son entourage et à s’évertuer à être un autre. Sa mère disparue trop tôt a repris une juste place. Et lorsqu’il en a besoin, il se remémore à nouveau ses bons moments qui l’ont aidés à grandir jusqu’à ses onze ans et qui le soutienne encore lui-même devenu père de famille à son tour.

Les questions pour redire bonjour à nouveau
Dans l’article présentant son approche, Michael White a présenté les questions qu’il avait posé à Mary. Voici la trame de ces questions qui aident à renouer avec ses proches disparus. Nous les avons librement adaptées afin de les rendre plus claires pour un public francophone. Au delà du nouveau regard qu’elle permette d’acquérir sur soi, il est bon de prendre aussi le temps d’accueillir l’émotion qui se présente. Ce questionnaire peut favoriser un travail personnel, mais il ne saurait remplacer un accompagnement dans les cas de deuil particulièrement douloureux à vivre.
– Si vous vous voyez à travers les yeux de votre proche disparu, qu’est-ce que vous remarquez en vous que vous pourriez apprécier ?
– Qu’est ce que vous découvrez de vous-même quand vous prenez conscience de ce que ce proche appréciait en vous ?
– En quoi avez vous contribué à embellir son existence ?
– Qu’est ce que cela change si vous pouvez maintenant aimer ces qualités présentes en vous ?
– Habité par ces qualités, quel pas pourriez vous accomplir pour revenir à la vie ?
– Comment cette prise de conscience vous rend davantage capable d’intervenir dans votre propre quotidien ?
– En accomplissant ce nouveau pas, que pourriez-vous découvrir de nouveau sur vous-même ?

Accompagnement d’une classe endeuillée
Dina Scherrer, coach, a accompagné une classe de 3e Segpa (Section d’enseignement général et professionnel adapté) pour effectuer un travail sur l’estime de soi. Or, juste au moment de la rentrée, l’un d’entre eux, Foued, a été renversé par une voiture, en présence de deux camarades. Une Cellule psychologique a été mise en place pour faire face à ce deuil, mais les jeunes n’y sont pas allés. Avant de débuter l’accompagnement, Dina a rencontré chaque collègien en entretien individuel, mais ils n’ont pas parlé de Foued, là non plus. Durant les trois premiers rendez-vous, dans le cadre du travail sur l’estime de soi, silence encore, même si le nom de Foued était écrit sur tous les cahiers. Au cours de la quatrième rencontre, lors d’une simulation d’un rendez-vous pour obtenir un stage, une jeune fille s’est mise à pleurer en expliquant que leur ami aurait aimé effectuer cet exercice. « D’une certaine manière, j’ai l’impression qu’il y a un absent présent dans cette classe », s’est interrogé Dina et elle a proposé de consacrer la séance suivante à leur camarade, en présence des professeurs. La coach a invité chacun à partager les images qu’il gardait de lui. Puis elle a demandé ce qu’il a apporté à chacun dans leur vie, ce qu’il leur a appris et qu’ils allaient conserver. « Ce fut une séance extraordinaire où ils ont réintégré Foued dans leur vie et ils ont engagé une nouvelle relation avec lui», se souvient Dina. Ce garçon était un sacré numéro : il avait fait quelques bêtises et plein de belles choses. Les professeurs ont aussi raconté ce qu’il leur avait donné. Les adolescents ont été touchés par ce regard positif venant de témoins extérieurs. A l’issue de cette rencontre, deux élèves rappeurs ont écrit une chanson et ils ont interprété leur création devant l’ensemble du collège. En redisant bonjour à nouveau à leur ami, les élèves de sa classe ont permis que leur vécu avec Foued se poursuive d’une façon différente.
A lire : Echec scolaire, une autre histoire possible. Le coaching au service des jeunes en difficulté, de Dina Scherrer, Chez « L’harmattan ».

Une approche inventée par un Australien
Cette démarche a été formulée par le thérapeute australien, Michael White, (1949 – 2008) Elle cherche à repérer comment les histoires (familiale, professionnelle, tribale) nous façonnent, en dégageant celles qui nous dominent et limitent notre existence et celles qui correspondent davantage à ce que l’on souhaite vivre vraiment. Cette approche intègre des travaux d’anthropologues, qui ont notamment observé les rites mis en place par les aborigènes, ainsi que l’action de travailleurs sociaux auprès de populations méprisées. Elle s’appuie aussi sur les recherches de sociologues, mais aussi de philosophes français comme Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Michel Foucault, Gaston Bachelard, Paul Ricoeur, Pierre Bourdieu.

A lire :
Sur internet l’article de Michael White sur se dire bonjour à nouveau est lisible en français sur le site : http://www.croisements-narratifs.fr/ (rubrique traduction)
En livre
– « Qu’est-ce que l’approche narrative ? », Alice Morgan, Lulu.com. Une présentation claire et accessible, qui montre que cette démarche peut s’appliquer aussi à des séparations avec des personnes qui encore en vie, mais avec lesquelles nous ne sommes plus en relation.
– « Les approches collaboratives en thérapie », de Béatrice Dameron, Satas. Un livre pour comprendre notamment comment les personnes vivant des séparations peuvent être accompagnées en allant chercher leurs élans de vie à travers leur propre histoire.

Publié le : 8 novembre 2014 | 3 commentaires | Partager/Mettre en favoris


3 Commentaires sur l'article “Dire « bonjour à nouveau » Une nouvelle approche du deuil”

  1. 1 Dina Scherrer a dit à 16 h 23 min le avril 17th, 2015:

    djfurnvjur

  2. 2 Sur le deuil | sandlabo a dit à 21 h 25 min le avril 22nd, 2015:

    […] http://www.dinascherrer.com/index.php/non-classe/une-nouvelle-approche-du-deuil/ […]

  3. 3 Ale a dit à 10 h 16 min le avril 23rd, 2015:

    Bonjour,
    Merci pour la reprise de l’ article d’Etienne Séguier. Il m’ouvre un nouvel espace de réflexion.
    Cordialement
    Ale


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