Ca va Ibrahima ? Publié le : 20 mars 2010
Ou la narrative contre la colère de Mickaël
L’année dernière, j’ai accepté une mission unique et nouvelle pour moi, coacher des jeunes de 15 ans en classe de 3ème Segpa (jeunes en grande difficulté) dans certains collèges sensibles de la banlieue parisienne. L’objectif est que les jeunes se découvrent, qu’ils voient l’école autrement et qu’ils puissent se projeter dans un futur qui leur plaise et auquel ils croient.
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Sauf que la plupart de ces jeunes ont à lutter quotidiennement contre des problèmes importants dans leur vie : précarité, violence, exclusion et puis ils ont à lutter également contre une image de « gogol » qu’on leur balance tout le temps dans la figure et dont les effets agissent sur leur image auprès des profs, de leurs familles et des autres élèves.
Quand j’arrive ce matin là dans la classe, je décide de les recevoir deux par deux.
Ibrahima et Mickaël toujours inséparables entrent et s’assoient en face de moi. Mickaël est un jeune homme réputé continuellement violent envers les autres et lui-même. On ne s’est pas vu depuis une quinzaine de jours. A la question « Quoi de neuf depuis la dernière fois ? »
Mickaël se vante d’avoir lancé une pierre sur la tête d’Ibrahima, son meilleur ami. Je lui demande Pourquoi il a fait ça. Qu’est-ce qu’Ibrahima lui avait fait ? Il me répond « Il ne m’avait rien fait. J’étais juste en colère et quand je suis en colère il faut que je frappe quelqu’un». Je lui demande « Et après avoir lancé la pierre, qu’est-ce que tu as ressenti pour Ibrahima ? » Il me répond droit dans les yeux « Rien, ca ne m’a rien fait ». Je lui ai dit que j’avais du mal à croire qu’il n’ait rien ressenti et je me tourne vers Ibrahima qui est à côté « A ton avis Ibrahima, tu penses aussi que ca ne lui a rien fait de te lancer cette pierre ? » Ibrahima réfléchit et me dit « Je ne pense pas, car comme j’étais un peu sonné, il m’a secoué et il m’a dit : Ca va Ibrahima ?». J’ai vu, à la tête de Mickaël, qu’il était content de ce que venait de dire son ami. Comme s’il était rassuré. Tout n’était pas mauvais chez lui. Il a souri.
J’ai demandé à Mickaël de me raconter l’histoire de sa colère. Depuis quand elle venait lui rendre visite ?, est-ce qu’il la sentait arriver ?, Quels avantages cela pouvait avoir pour lui qu’elle soit là ? Qu’est-ce qu’il avait déjà tenté pour lui résister ? Qui pourrait l’aider à calmer sa colère ? A qui ou à quoi il pourrait penser dans ces moments là pour l’apaiser ? A cette dernière question il a répondu sans hésiter mon grand frère. C’est le seul qui sait me parler et me calmer et aussi je ne veux pas le décevoir. Et Ibrahima, le merveilleux ami, de proposer spontanément « Si tu veux, quand tu seras en colère je te parlerai de ton frère».
J’ai recueilli pendant cette séance beaucoup d’information sur la colère de Mickaël. Qu’elle venait lui rendre visite depuis son plus jeune âge. Qu’il l’a sentait arriver de loin. Qu’elle lui permettait de ne jamais baisser les yeux, de garder la tête haute. Que pour ne pas sombrer il se raccrochait à ce qui est important pour lui : ses origines algériennes, sa passion pour le rap.
Ce jour là Mickaël m’avait fait un beau cadeau en parlant de sa colère et je me disais qu’il fallait que je fasse quelque chose de tout ce qu’il m’avait confié. Honorer leurs mots, comme me le rappelle si souvent Pierre. J’ai écrit une lettre à sa colère que je lui ai remise quand on s’est revu. Une lettre ou je m’adresse à elle en reprenant tous les mots qu’il m’avait dits. Une lettre dont l’intention était clairement de renforcer l’influence que Michael avait déjà sur sa colère et de lui faire prendre conscience qu’elle pouvait aussi être une alliée et lui permettre de rester debout malgré les coups durs de sa vie.
Les séances ont continué avec Mickaël. La dernière fois que je l’ai vu, à la question « quoi de neuf depuis la dernière fois » ? Il m’a parlé pour la première fois de ses projets et de ce qu’il aime dans la vie : le rap, passer un CAP de restauration et plus tard avoir son restaurant, sa petite amie qu’il a envie de garder plus longtemps cette fois. J’ai l’impression que Mickaël commence à laisser un peu de place à d’autres histoires possibles pour lui….
Dina Scherrer
Coach de Dirigeants et de Collégiens.
Publié le : 20 mars 2010 | 1 Commentaire | Partager/Mettre en favoris
C’était il y a longtemps – mars 2010 – mais je me dis en vous lisant que si Mickaël aime le rap il aurait pu lui aussi honorer sa colère et lui dédier une chanson, un slam… avec ses maux à lui
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